16 avril 2025

 

Histoire de Diego.

 

Diego était un grand noir du Berry. Soit un âne. Un grand âne, hein, pas un tout petit gris, comme un presque-jouet,  qui est exploité dans les jardins publics pour promener les enfants. Mais un vrai grand âne, les grands noirs du Berry  ayant comme caractéristique d'avoir, par rapport à la dimension du chanfrein, les plus grandes oreilles, poilues et veloutées, de chez les  ânes. Un animal de trait, de travail, n'ayant pas la "beauté" d'un cheval, mais pouvant fournir(et dieu sait qu'il en a fourni !) , un vrai travail "agricole"...

 

Bref, un âne. A savoir une créature capable parfaitement de tisser des liens avec ses maîtres. De répondre à son nom, et de tenter de dire son avis sur ce qui lui arrive. Dommage que les êtres humains soient incapables d'en faire autant. 

 

C'était la nuit, et je dormais. Profondément, et cela, à l'époque, n'était pas si courant, vu mes tourments.  (mon dieu, voici que je suis déjà à avancer des excuses !!!)

 

Le chien a aboyé. Il a aboyé fort, fort : l'âne passait, à trois heures du matin, sous les fenêtres de la maison.  Croyez-vous que j'ai compris ce qui se passait ? Je me suis redressée dans le lit, et j'ai engueulé le chien. On le savait, qu'il était un chien "de garde". On le savait, qu'il était au courant quand quiconque s'approchait de plus de cent mètres. ... Merde, arrête de gueuler, je te l'ordonne. Il a obéi. 

 

Bref, le chien qui gueulait à la fenêtre est revenu vers moi, vers le lit, vers la quiétude. Parce que je lui avais ordonné de la fermer. 

 

Pendant que l'âne, qui avait ouvert la barrière mal refermée par moi, passait dans le jardin, montait sur la route,  et se faisait buter par une golf GTI où trois jeunes cons bourrés s'entassaient, sans doute frustrés ne pas avoir pu  lever des filles, (et du coup on compense en appuyant sur le champignon), pendant que l'âne mourait, le récit se mettait en place. 

 

Bref la golf a percuté Diego. A deux cent mètres de la maison, sur la départementale. Les gendarmes sont arrivés, (pendant que je ronflais dans ma certitude d'être une maîtresse exemplaire dans le bien-être animal), ils n'étaient plus que deux sur les lieux. Les passagers, le conducteur "n'était plus là".

 

Quand la golf GTI a percuté Diego, elle a tué l'âne mais fait des tonneaux. Les "passagers" ont refusé d'aller à l'hôpital, ben tiens, des fois qu'il y aurait des analyses de sang,  le "conducteur" a été entendu quelques jours après, bref notre assurance a dû rembourser la golf GTI. 

 

Mais moi, je me revois toujours, toujours, dans ce lit, et j'entends les aboiements du chien à la fenêtre, et c'est comme si j'avais perçu, sans  le comprendre, le bruit des sabots de Diego allant à sa mort dans ce monde où il n'y a plus de place pour les ânes, ni pour les âmes tourmentées. 

 

 

 

18 février 2025

 

Longtemps, j'ai tenu un blog de bonheur. De 2011 à 2015, plus précisément. Cela s'appelait "Clopineries, le blog de Clopine Trouillefou".  Clopine Trouillefou, ce n'est pas, contrairement à l'impression  première qui risque de se dégager de ce pseudonyme, , une vanne de cul. Ce nom  est, en fait, issu d'une sorte de  croisement entre Victor Hugo et Virginia Woolf. Mon intérêt pour la littérature s'y dévoile d'emblée, sous le manteau de l'anonymat.

Cet ancien blog était un patchwork d'impressions quotidiennes,   de réflexions plus ou moins politiques, de comptes-rendus de lectures, d'écoutes de musiques ou  de visionnages de films, de mise en ligne de photos, dessins, tableaux, bouts de films, de renvois à des liens externes,  plus, parfois, quelques blagues. Il servait à la glorification de ma vie, à travers mes proches, mes animaux, mes goûts...  Le tout sans ordre ni plan. 

 

 

Alors qu'internet explosait, l'argument publicitaire  des plates-formes de blog résidait dans la promesse d'un lectorat toujours plus nombreux. La forme blog, c'était déjà le terreau, le berceau des actuels influenceurs ou influenceuses sévissant sur Tik ToK. Et le blog était, pour quelqu'un comme moi, un palliatif à la difficulté d'accéder au statut d'écrivain. Mais évidemment, Clopineries est resté un blog parfaitement confidentiel. Songez, disons au maximum une centaine de visites par jour, alors qu'un streamer sur Twitch  peut compter sur plusieurs millions de followers. 

 

Au bout de quelques années, et comme pour  nombre d'autres blogs, l'exercice de l'écriture bloguesque avait atteint ses limites. Non parce que  je n'avais plus rien à dire : la forme d'éphéméride du blog contient en elle-même la garantie d'un renouvellement quotidien. Mais parce que la confusion entre le genre du "journal intime" (où la sincérité est normalement de mise, sauf pour les écrivains qui inscrivent leurs journaux intimes dans une perspective de publication posthume, et donc prennent des postures) et l'exposition en place publique (qui empêche  de parler d'autrui, car parler d'autrui sur la toile, c'est l'exposer à travers ce que vous dites de lui, et il faudrait dans ce cas obtenir au préalable son consentement) débouchait sur une sorte de mensonge : ma parole était de plus en plus bridée. 

 

Clopineries mourut donc de sa belle mort. Mais Clopine Trouillefou perdurait, elle, ici ou là. 

 

Pourtant, il y a cinq ans, Clopine faillit bien se taire pour toujours. Le sol sur lequel je marchais s'était  dérobé, comme une trappe qu'on ignorait être là et qui s'ouvre sans prévenir   : adieu, veaux, vaches, cochons, couvée !  Je veux dire que toute la vie relatée au jour le jour sur le blog s'était  d'un seul coup retirée. J'ai subi une profonde et extrêmement douloureuse "dépression  nerveuse post-traumatique", d'après les psychiatres du Centre Hospitalier du Rouvray. Et j'ai déménagé. 

 

Et la peur a commencé à s'installer. 

 

Je dis "la peur", et non '"l'angoisse", celle qui me réveille la nuit et provient de moi, de mon psychisme. Mais ma peur, ou mes peurs, elles, me semblent aujourd'hui parfaitement justifiées. Ce sont ceux qui "n'ont pas peur" qui sont à mes yeux parfaitement étonnants. A croire qu'ils font partie du danger...

 

Oui, j'ai peur. J'ai même une trouille folle de l'avenir, de tout ce qu'il contient. 

 

Mais si on a le droit d'avoir peur, pour soi et pour les autres, s'il est parfaitement raisonnable d'avoir peur,  il faut résister à la tentation de l'autruche ou de la panique. 

 

Trouver quelque chose à opposer à la trouille. 

 

Je n'ai que des mots. Mais c'est peut-être, déjà, un bon début... Pour comprendre ce qu'il y a, derrière ma folle trouille... 

 

A plus.

 

Clopine Trouillefou